Dans la vidéo dont est extraite la citation de la vignette, Vincent Laborderie enchaîne en disant :
Peut-être que cela évite de poser les vraies responsabilités … ?
Cela permet aux décideurs de dire que s’il y a un problème, c’est « à cause » de ceux qui ne respectent pas les consignes, plutôt que de se poser la question quant à la pertinence des consignes stratégiques …
Bien sûr, son propos concerne la gestion de la crise sanitaire actuelle, mais il m’a semblé intéressant de montrer que cela n’a rien d’inhabituel et que ce type de pensée et de comportement est plutôt banal.
En effet, au-delà des difficultés – voire des drames – que la crise sanitaire génère chez les uns ou les autres, ladite situation est un intéressant laboratoire d’observation des fonctionnements humains. Et ce, tant du point de vue individuel que social. En d’autres termes, tant du point de vue psychologique que psychosocial.
A ce titre, la médiatisation pléthorique – y compris celle des réseaux sociaux – nous amène depuis des années à des avis et opinions chaotiques, mais vient biaiser nos perceptions, tant de la réalité de la situation que de nos estimations quant à sa nature.
Le dénominateur commun à une majorité d’entre nous étant toutefois que « ça n’est pas normal ».
A partir de ce « pas normal », nous portons un jugement « c’est agréable ou désagréable » sur ladite situation, et reconnaissons qu’il y en a bien peu pour trouver la situation actuelle agréable ! 😊
Une conscience aigüe nous aiderait à constater qu’en réalité, ce qui est surtout désagréable, c’est le changement de nos habitudes de vie. Voire la perte de nombre de celles-ci. Ou a l’inverse, que la situation induise un changement que nous ne désirons pas (ce qui revient à perdre un passé moins désagréable ou plus agréable)
La lucidité nous aiderait à constater qu’en fait, il y a très peu d’habitudes qui soient réellement indispensables, voire utiles. Le plus souvent, il s’agit d’habitudes de confort et de plaisir, dont nous pourrions nous passer. Mais parfois aussi, la situation nous met dans une position très inconfortable, voire dramatique.«
Vient alors la vraie question que nous devons trancher : " Suis-je disposé à accepter ce changement, et à quel titre ? "
Et c’est là que nos argumentations intérieures entrent en jeu …
Car ne nous y trompons pas, l’être humain va naturellement là où il croit que se trouve son intérêt. Lorsque nous émettons ainsi un avis, le plus souvent, cet avis masque en réalité la défense de nos intérêts … ou ce que nous croyons qu’ils sont. Or, ils peuvent être matériels, moraux ou éthiques, individuels ou communautaires … mais le plus souvent ils sont émotionnels : nous ne désirons pas ressentir une émotion désagréable. Il devient alors très tentant de trouver un coupable à ce ressenti déplaisant. Ce ressenti peut être de la peur, de la peur de nous tromper , de la frustration, de la colère …et nous cherchons une porte de sortie.
Cette porte de sortie sera le plus souvent « les autres ». Nous avons alors tendance à percevoir ces autres comme les coupables de notre ressenti désagréable et nous allons tenter de justifier/valider cela. Nous parlerons du "biais de confirmation". Et ces autres vont ainsi devenir – dans notre esprit – une communauté que nous pourrons blâmer, et que nous allons construire via divers biais cognitifs.
Nous commençons souvent par créer dans notre esprit, un groupe auquel nous croyons appartenir, sur base du « biais d’alliés » ou « biais de la chambre d’écho » qui consiste à considérer que nous avons raison puisque nous sommes entourés de personnes du même avis que nous, et que donc, celles-ci sont plutôt semblables à nous. Même si ces personnes ne sont de notre avis que pour un seul sujet déterminé.
Et nous allons alors créer une autre communauté « coupable » en créant dans notre esprit un exo-groupe via le « biais d’homogénéité » qui nous amène à considérer que dans ce groupe « tout le monde est pareil ».
Le coupable est ainsi désigné. Il va devenir très aisé de lui attribuer – via le biais de confirmation – tous les évènements qui vont à l’encontre de ce que nous désirons, et ne plus voir les facteurs qui invalident notre propre avis.
L’instinct du blâme est en fait une chose très simple qui – en attribuant la responsabilité des échecs à « l’autre » - vient nous permettre de ne pas nous sentir en faute, et de renforcer notre conviction d’avoir pris une (voire « la ») bonne décision… même si cela ne fonctionne pas ... puisque ce n'est pas de notre faute !
Le souci étant que cette vision binaire est le plus souvent absurde au regard de la complexité d’une situation. Nous en arrivons ainsi à voir « les autres » comme un groupe homogène à condamner, en portant a contrario sur notre groupe un regard plus nuancé. Aujourd’hui, dans le cadre de la crise sanitaire, les uns considèrent comme étant « tous des moutons » ceux qui ne sont pas de leur avis, et les autres considèrent comme « des complotistes antivax » tous ceux qui ne sont pas du leur.
Chacun faisant fi de la multitude de nuances au sein de chaque groupe … nuances qui empêcheraient de tous les blâmer en bloc.
La pratique de la présence attentive nous aide à prendre conscience de ces émotions fulgurantes, qui nous rendent très vulnérables à ces mécanismes (biais) cognitifs, et à développer ainsi la lucidité permettant de poser des choix.
En acceptant la possibilité de faire une erreur… et d’avoir à la rectifier.
Car, les certitudes sont bien davantage génératrices d’erreurs, que le doute raisonnable.